Les origines philosophiques de Mai 68


La révolution de Mai a été portée par un courant philosophique français héritier de Nietzsche, de Marx et de Freud. Dans ce courant, Althusser, Foucault, Deleuze, Derrida, Bourdieu, selon des démarches très diverses, avaient tous un objectif commun : la déconstruction des normes et des pouvoirs, accusés d’exclure, d’opprimer et de nier les différences individuelles. Cette haine des normes continue d’imprégner profondément un certain nombre de médias et de responsables politiques.

Cette philosophie hédoniste-libertaire des « sixties » a d’ailleurs été remarquablement analysée et critiquée par Luc Ferry dans un livre écrit en 88 avec Alain Renaut « La pensée 68. » Or tous deux montrent que la « pensée 68 » trouve ses origines dans une contestaton radicale des valeurs occidentales, condamnation de l’universel et de la raison, dissolution de l’idée de vérité, mort de la philosophie et culte des sciences sociales.

Luc Ferry et Alain Renaut repèrent 4 caractéristiques de la pensée 68 :
1° la fin de la philosophie : elle appartient à un passé petit-bourgeoise utopiste et humaniste. Elle doit céder la place aux sciences sociales.
2° la pratique de la généalogie : elle consiste à comprendre les discours, les normes ou les pouvoirs à partir d’une origine sociale, psychologique ou politique déterminée.
3° la dissolution de l’idée de vérité : toutes les catégories sont historiques et donc relatives à un temps, à une époque, à un individu.
4° la fin de toute référence à l’universel, accusé de particularisme masqué, d’ethnocentrisme européen

Selon Luc Ferry et Alain Renaut, « L’histoire de la folie » de Michel Foucault est l’« oeuvre inaugurale de la pensée 68 ». Dans ce livre, Foucault fait l’histoire du mode de production de la folie à l’époque moderne. Toute la thèse de Foucault tient dans l’idée que c’est la norme rationnelle, l’homme étant défini comme être raisonnable, qui produit le fou. Tout ce qui ne correspond pas à cette norme préalablement posée est désigné comme fou et se trouve exclu de la communauté des hommes selon un processus médicalisé d’internement. « Après Mai 68, ce livre sort du champ confiné de la recherche universitaire. Il est lu par des milliers d'étudiants dans une optique de critique radicale et brandi comme une légitimation de la remise en cause non seulement de la psychiatrie mais de tous les savoirs et pouvoirs institués .1 »

Dans la Volonté de savoir, Foucault affirme que l’homosexuel est une invention de la psychiatrie et de l'hygiénisme médico-policier au XIXe siècle. Avant cette époque, il n’y avait pas d’identité homosexuelle mais seulement des actes entre personnes du même sexe. « Il ne faut pas la concevoir [la sexualité] comme une sorte de donnée de nature que le pouvoir essaierait de mater, ou comme un domaine obscur que le savoir tenterait, peu à peu, de dévoiler .2» Pour Foucault, la sexualité n’est pas un donné, elle est un dispositif qui relève du politique, elle est construite.
C’est bien ce que montre David Halperin, un disciple américain et gay de Foucault dans « Saint Foucault », livre qui est devenu la bible d’Act up : « En conceptualisant la sexualité comme un dispositif dont le fonctionnement peut être analysé -plutôt que comme une chose réelle dont la nature pourrait être connue- c'est à dire en traitant la sexualité comme l'instrument et l'effet d'une série de stratégies politiques et discursives, Foucault fait passer le sexe du domaine du fantasme individuel au domaine du pouvoir social et du savoir . 3»
Ce dévoilement des stratégies du pouvoir-savoir contribue à la libération de l’homosexuel. Ce dernier n’est plus le simple objet d’un discours scientifique. Il devient un sujet actif, capable de prendre en main son destin.

Selon Jean-Pierre Le Goff, « Les années qui suivent Mai 68 vont pousser jusqu'au paroxysme la célébration de l'insubordination sous toutes ses formes. Les frontières entre « normal » et « pathologique » s'estompent et la folie tend elle-même à devenir le symbole d'une vérité réprimée et aliénée par la société. Dans ce cadre, les propos et les actes « insensés », les dérèglements les plus divers peuvent être légitimés par ce courant qui érige la figure du fou, du déviant et de l'asocial en modèle de l'authenticité et de la révolte . 4» Il ne faut pas s'étonner que la secrétaire d'Etat à la famille Nadine Morano se déclare aujourd'hui favorable à l'adoption par les homosexuels, à la reconnaissance des "familles" composées de parents homosexuels, et à la légalisation de la procréation médicalement assistée pour les homosexuels...

Telles sont les grandes caractéristiques de cette idéologie hédoniste-libertaire qui continue à produire ses effets pervers 40 ans après. En effet, au-delà des slogans romantiques, les conséquences culturelles de la révolution de Mai sont bien visibles dans la société : démission des autorités éducatives, explosion de la violence à l’école, règne du doute et du soupçon, délégitimation des institutions. La question de l'école est au centre du problème. L'idéologie égalitariste, dénonçant la culture générale comme un préjugé bourgeois, a sapé l'autorité du maître au profit d'un dialogue interculturel dans lequel il ne s'agit plus d'instruire mais d'éduquer à la tolérance. Le nouvel axiome de cette école « sympa » est le relativisme. « Tout se vaut ». « Chacun sa vérité ». « Il est interdit de juger ». Tels sont les mots d'ordre hérités de Mai 68, diffusés dans les réformes successives de l'Education nationale et dans la création des IUFM (Institut Universitaire de Formation des Maîtres) par Jospin dans les années 90.

[1] Jean-Pierre Le Goff, Mais 68, l’héritage impossible, p. 337

[2] M. Foucault, La volonté de savoir, 1976

[3] D. Halperin, Saint Foucault, 1995

[4] Jean-Pierre Le Goff, Mais 68, l’héritage impossible, p. 337

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